Question de survie

Les entrevues avec Abe Okpik sont en soi une exploration nordique. Le récit que vous vous apprêtez à lire vous conduira des montagnes de la rivière Noatak, dans le nord de l’Alaska, à l’île de Baffin, dans le Nunavut. Il transportera également votre imagination du mode de vie nomade traditionnel des Inupiat d’Alaska à un immeuble à bureaux fédéral à Ottawa. Il s’agit aussi bien d’une exploration géographique, car Abe Okpik s’est rendu dans la plupart des localités au nord du 60e parallèle, que d’une exploration à travers le temps et d’une exploration du concept même de temps. Au cours de sa vie, Abe Okpik a voyagé à travers de nombreux mondes divers et changeants. Il était très fier de dire qu’il était né d’une manière traditionnelle. Mais la vie l’a rapidement conduit vers d’autres espaces; comme d’autres Inuit de sa génération, Abe a chassé et piégé, s’est déplacé en traîneau à chiens et a construit des igluit. En même temps, il était avide de lectures et avait le sens du détail historique. Il en est venu à jouer un rôle de premier plan dans la création d’institutions politiques dans le Nord canadien.

Abraham Okpik
Ils avaient le livre pour nous prouver qu’ils possédaient un meilleur système. Par conséquent, nous avons été arrachés à notre monde spirituel et transformés en quelque chose qui nous était étranger. Je ne sais toujours pas s’il s’agissait d’un malentendu, ou si tout simplement ces gens-là ne savaient pas comment vivre avec les autres. Je connais des personnes qui sont devenues pasteurs dans des paroisses, pas ici, mais dans d’autres endroits, et qui ont finalement quitté le ministère en se disant : « Il y a d’autres façons de voir le monde! » La prêtrise a changé et maintenant certains missionnaires admettent qu’ils ont tenté d’anéantir les croyances des autres, de même que leurs dons surnaturels et spirituels.

Dans la vallée du Mackenzie, en amont, les gens avaient aussi leurs valeurs et leurs croyances. Ce n’était pas un jeu. C’était une relation de survie entre votre créateur et ce que la terre avait à vous offrir. Je pense qu’un enfant, dès le départ, est un cadeau spécial pour chacun d’entre nous, qu’on habite l’Alaska ou le Groenland ou d’autres parties du monde. Ça a toujours été un cadeau spécial pour nous pour que, quand les gens deviennent vieux, comme moi, la nouvelle génération pourra perpétuer notre culture, notre langue et nos valeurs. (Chapitre 4)